' Ma mè re m'a laissé une é nigme, l'histoire de notre relation. Elle avait la particularité de n'aimer que des homosexuels. Elle travaillait chez Gallimard et é tait é crivain. Elle m'a permis d'ê tre le té moin, avec mes yeux d'enfant, d'un moment exceptionnel de la vie intellectuelle et litté raire aprè s la Libé ration. Litté rature, politique, amitié et mauvaise foi, pieds et poings lié s. Le Parti communiste, la smala d'Espagnols exilé s pour la plupart, dé barquant chez elle, rue Poissonniè re, quand elle a commencé sa liaison avec Juan Goytisolo, dè s mes trois ans. Bourrasque d'individus remarquables qui avaient envie d'ê tre libres au sortir de la guerre. Violette Leduc, Duras, Florence Malraux, Jorge Semprun, Faulkner, Jean Genet, Queneau, Giacometti. Je les ai cô toyé s sans ê tre consciente de mon privilè ge. Elle, et ses emballements. Moi, et ma fé minité . Je la regarde, je l'aime. Je ne comprends pas tout. Je ne vis qu'avec des adultes. J'observe, je grandis, je pose des questions. Ma mè re se dé robe. Me dire la vé rité , c'est dé clarer ses failles. Elle bredouille des approximations. Mon univers a beau se distinguer par son intelligence, il ne m'é claire pas. Je dé rape. Je deviens une furie. Quelque chose ne tourne pas rond. Quand cela a-t-il commencé ? Jusqu'où vais-je aller ? Je ne la quitte pas. C'est elle qui s'en va. Elle rend son â me. Elle me lè gue ses agendas. Je tombe sur une mine d'or. Je les lis, je les dé crypte. Je vois mais c'est trop tard. Je suis enfermé e dans le silence. Je ne raconte rien. J'ai honte de ce que j'ai vé cu. Elle aussi s'est tue, je l'ai appris par hasard. Ce roman parle du silence. Je ne sais plus si je l'aime. Je l'ai trop proté gé e. Elle s'appelle Monique Lange, et elle a tout d'un ange. Elle se passerait de son sexe, de ses seins, du sang, et surtout du sperme. Et pourtant, je viens d'elle. Je rê ve d'un monde où plus personne n'aura honte d'avouer ce qu'il est ou ce qu'il a é té . ' Carole Achache